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Documentaire diffusé le mercredi 14 février 2018 à 20h50 sur France 5
De plus en plus fréquent, le burn-out n’a pourtant pas d’existence médicale. Pour comprendre cet effondrement professionnel mais également personnel, ce documentaire donne la parole à ceux qui l’ont éprouvé dans leur chair et dresse un état des lieux alarmant du monde du travail.
« Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. » « J’allais droit dans le mur. » « Et le mur, je l’ai pris en pleine poire »…Ils sont cadre bancaire, cuisinier, assistante sociale, berger ou encore responsable associatif, et le travail qu’ils aimaient a fini par les mettre à terre. « C’est comme si on traversait un feu. On ne voit rien extérieurement, mais à l’intérieur on est dévasté », explique Brigitte. Ce mal qui ronge les salariés, c’est le burn-out. Pour Danièle Linhart, sociologue du travail, « c’est un effondrement, une remise en question tellement importante de soi, de la confiance qu’on peut avoir en soi, de ce que l’on représente, de la valeur qu’on a. Elle est si violente qu’on ne peut plus retourner au travail. »
Afin de comprendre l’origine, les étapes et les caractéristiques de cette dépression particulièrement brutale liée au milieu professionnel, la réalisatrice Elsa Fayner a recueilli les témoignages de cinq « machines de guerre » au travail qui se sont effondrées : Brigitte, Hélène, Thierry, Frédéric et Jacques. Avec pudeur, chacun revient sur le jour où leur cerveau a dit stop et tous évoquent un état d’épuisement profond. Ils racontent leurs symptômes — troubles de mémoire, problème de concentration, perte de poids soudaine, anxiété… —, les conséquences sur leur santé, ainsi que leur lente et difficile reconstruction. Ils essayent aussi de saisir les causes de leur chute et soulignent une surcharge de travail, mais aussi des problèmes d’organisation ou managériaux, un manque de reconnaissance ou encore un conflit de valeurs.
Des méthodes de management toxiques
Cette souffrance psychique qui touche des salariés d’entreprises de secteurs et de tailles différentes n’est-elle pas aussi révélatrice de dysfonctionnements et de l’évolution des méthodes de management ? « On rend l’expérience et les compétences des salariés obsolètes par la pratique du changement permanent, condamne Danièle Linhart. On restructure les services sans cesse. On recompose les métiers sans arrêt. On change les logiciels. On impose des mobilités systématiques, des déménagements. On externalise, on réinternalise. Bref, on crée un mouvement perpétuel qui brouille tous les repères et qui fait que toute l’expérience constituée auparavant ne sert plus à rien. […] C’est une logique qui est véritablement stratégique, pour faire en sorte que les salariés ne puissent pas s’opposer ou résister à ces nouvelles manières de travailler qui ont été concoctées par des cabinets d’experts et qu’ils soient obligés de se conformer strictement à la manière dont on veut qu’ils travaillent. Parce que c’est cela qui reste l’enjeu fondamental de la mise au travail capitaliste. » Depuis 2002, l’employeur a pourtant l’obligation de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».* Mais alors que le burn-out est souvent vécu comme une véritable crise existentielle pour le salarié, peu d’entreprises acceptent de remettre en question leur organisation.
Amandine Deroubaix
* Art L. 4121-1 du Code du travail. Loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002.
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MORCEAUX CHOISIS
Hélène Fléchet, assistance sociale
« J’avais l’impression d’être un peu une technicienne, et ce n’est pas possible avec des êtres humains. »
« Quand j’ai rencontré pour la deuxième fois le médecin du travail après deux mois d’arrêt, elle m’a parlé de l’inaptitude au poste. Elle a pris des gants pour me le dire, parce que le mot “inapte”, on se le prend bien dans la figure. On a fait ça pendant neuf ans et, du jour au lendemain, on n’est plus capable de faire ce travail-là. »
Brigitte Kuntz, cadre de banque
« J’ai fait un semi-coma. Quand je me suis réveillée, j’avais perdu la vue, je n’entendais presque plus rien. »
« Ce n’est pas de la fatigue, c’est de la vieillesse. C’est l’usure complète du corps, du système nerveux, de tous les organes. »
« Il n’y avait personne pour mon départ, alors que j’avais travaillé plus de dix ans dans cette boîte. Juste une secrétaire qui m’a donné le contrat à signer, et c’était fini. »
Thierry Machard, berger
« Mon cœur est descendu en dessous des 50 pulsations par minute. Mon corps avait décidé que c’était le moment d’hiberner. »
« Mon troupeau a été plusieurs fois l’objet d’attaques de chien, donc je m’étais armé. Je n’aime pas en parler, mais j’ai été obligé de laisser le fusil chez quelqu’un pour être sûr de ne pas m’en servir. »
Jacques Le Barbier, chef cuisinier
« Dans mon éducation, il y a un côté un peu pervers en ce qui concerne le travail. Quelqu’un qui ne travaille pas, c’est un faignant. C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais été en arrêt de travail. J’ai été éduqué comme ça : on ne s’arrête pas de travailler. »
« Je ne vis pas spécialement bien mon arrêt de travail, parce que je me sens un peu inutile vis-à-vis de la société, de ma femme. J’en souffre. Ce n’est pas de gaieté de cœur. »
Frédéric Amiel, ex-responsable associatif pour la Cop 21
« D’une part, j’avais plein de contingences extérieures qui pesaient sur mon travail et qui m’empêchaient de le faire : projets de manifestations annulés, contraintes importantes de la préfecture et stress après les attentats. Mais en plus, en interne, j’avais ce que j’ai appelé le syndrome de la porte fermée, c’est-à-dire qu’ils s’étaient mis à prendre les décisions sans m’associer à la discussion. »
« Je suis heureux aujourd’hui. Je ne suis pas en dépression, mais c’est plutôt cette incapacité à imaginer la suite que je vois plus comme une tristesse. J’ai perdu un truc. »
Samuel Michalon, psychologue du travail
« Dans les facteurs d’émergence de l’épuisement professionnel, il y a l’exposition au stress chronique, mais aussi l’amour de l’activité, ce que l’on appelle l’investissement au travail. Ce sont des individus qui aiment leur activité, il y a donc un lien affectif. »
Danièle Linhart, sociologue du travail
« Le salarié vertueux, il est flexible, mobile, disponible, loyal, il vise l’excellence, il s’engage à fond, mais surtout, et on ne l’a pas assez dit, c’est celui qui accepte de se remettre en question, de prendre des risques et même de se mettre en danger. »
Robert Neuburger, psychiatre, psychanalyste
« Il y a beaucoup d’entreprises qui vous demandent de vous investir totalement, il ne faut pas. Il faut garder quelque part une petite lumière, un endroit où on récupère, où vous vous sentez bien. Bien entouré et confortable. »
« La liberté de l’humain, c’est de pouvoir choisir ses aliénations. »