Au mois de juillet dernier, la Direction de l’ARS avait demandé aux Directeurs d’établissements de soins de la région Occitanie de rappeler l’obligation d’inscription à l’Ordre Infirmier.
La Direction avait anticipé cette démarche de quelques jours vis à vis des professionnels infirmiers du CHU.
Les syndicats CGT des CHU de Montpellier et Toulouse avaient alors interpellé la Directrice de l’ARS pour contester cette injonction.
Vous trouverez ci-dessous le courrier rédigé dans le même esprit qu’a adressé Mireille STIVALA, Secrétaire de la Fédération Santé & Action Sociale CGT à Mme BUZYN, Ministre de la Santé. Télécharger au format PDF : ici.
Madame la Ministre,
Par courrier en date du 6 juillet 2017 adressé aux directeurs-trices d’établissements de santé, l’Agence Régionale de Santé (ARS) Occitanie cite les termes du Code de la Santé Publique relatifs aux inscriptions aux Ordres infirmiers et de masseurs kinésithérapeutes. Il est demandé aux établissements de rappeler l’obligation d’inscription et les sanctions encourues.
Ce texte apparaît entaché d’un certain nombre de vices.
1°- L’ARS fait l’amalgame entre l’Ordre infirmier et l’Ordre des masseurs kinésithérapeutes (MK). Or, si le décret relatif à l’inscription automatique des MK est paru, celui relatif à l’inscription automatique des infirmiers ne l’est pas. Le décret des MK montre d’ailleurs que celui-ci est nécessaire pour l’inscription aux Ordres.
2°- Il est particulièrement intéressant de noter la réponse du Conseil d’Etat relative au recours introduit par la CGT contre le décret d’inscription automatique des MK. La CGT a estimé que le Conseil Supérieur de la Fonction Publique Hospitalière n’a pas été consulté.
Le Conseil d’Etat indique, dans son arrêt n°401781 du 25 avril 2017, que « les dispositions contestées du décret du 2 juin 2016 n’ont pas pour objet d’édicter des règles relatives à la situation des MK employés par les établissements mentionnés à l’article 2 de la loi du 9 janvier 1986… ».
Dès lors, en quoi les directions hospitalières ainsi qu’une ARS sont concernées ? On note également qu’il n’existe aucune disposition dans les statuts, contrairement notamment au recrutement des médecins.
3°- Le code de déontologie des infirmiers, affirmant l’indépendance de ces professionnels ainsi que diverses autres obligations, entre en contradiction formelle avec le statut général de la loi 86-33 qui prévoit l’obligation d’obéissance. Ainsi, un infirmier obéissant à ce code de déontologie (refus d’exécuter des actes pour lesquels il n’a pas de pratique suffisante) se placerait en situation de faute disciplinaire. La CGT recommande aux personnels de refuser l’inscription et d’écrire, tant aux Ordres qu’à leur direction, pour lever cette contradiction. Comment les infirmiers pourraient-ils signer un engagement de respecter un code contraire à la loi statutaire ?
A cet égard, se pose la question de la situation des professionnels de santé qui seraient interdits d’exercer au regard des dispositions introduites dans le statut en 2017 par l’article 30. C’est en particulier pour cette raison que les médecins ont un statut différent.
4°- Selon le Conseil d’Etat, la cotisation ordinale ne serait pas un prélèvement obligatoire soumis aux dispositions de la LOLF (CE, 23 Octobre 1981, Syndicat de l’architecture,
n° 17983) ni donc au principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques (financement d’un service public).
Néanmoins, il convient de noter que cet arrêt est intervenu avant la promulgation de la LOLF (LOI organique n° 2001-692 du 1er août 2001) relative aux lois de finances et que cette cotisation finance un service public. De plus, le conseil d’Etat a considéré qu’une charge inhérente aux missions de lutte contre les incendies de forêts qui ne profitent pas aux seuls sylviculteurs qui s’acquittent de la cotisation (CE, 18 janv. 1985, n° 25161, d’Antin de Vaillance) n’était pas une « cotisation ».
Comme le reconnaît le commissaire du gouvernement Jean-Marie Pauti dans ses conclusions sur l’affaire Syndicat de l’architecture en 1981 (préc.) la cotisation ordinale n’est certes pas « une contrepartie déterminée et individualisée ; elle a simplement pour objet de procurer à l’Ordre des ressources indispensables pour fonctionner; les services rendus sont destinés à la profession dans son ensemble ».
5°- Le droit d’obtenir un emploi est reconnu par le 5e alinéa du Préambule de 1946.
Le Conseil Constitutionnel a rappelé dans sa décision du 4 février 2011 « qu’il incombe au législateur, compétent en vertu de l’article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, de poser des règles propres pour assurer, conformément aux dispositions du Préambule de 1946, le droit pour chacun d’obtenir un emploi tout en permettant l’exercice de ce droit par le plus grand nombre » (CC 2010-98 QPC, 4 février 2011, cons. 3, Journal officiel du 5 février 2011, p. 2355, texte n° 90, Rec. p.
108).
Or, en imposant aux infirmiers non libéraux d’adhérer à un Ordre, et donc de verser une cotisation, le législateur instaure une « barrière » au travail qui ne rencontre aucune justification sérieuse et qui limite clairement le droit de chacun d’obtenir un emploi. Cette entrave à l’emploi des infirmiers est d’autant plus injustifiée « dans le contexte actuel » d’un marché du travail particulièrement tendu (selon la formule du Conseil retenue en 1998).
Au demeurant, il existe plusieurs organismes publics qui peuvent parfaitement exercer les missions actuellement dévolues à l’Ordre (formation, discipline,…), notamment les ARS.
Mais plus gravement, l’Ordre porte atteinte à la liberté syndicale. Comme l’a souligné de nombreuses fois le Conseil Constitutionnel, le législateur ne peut imposer, « en droit ou en fait, directement ou indirectement », l’obligation d’adhérer à un syndicat (CC 83-162 DC, 19-20 juillet 1983, R. p. 49), car la liberté syndicale signifie, pour les travailleurs, la liberté d’adhérer au syndicat de son choix, ou de n’adhérer à aucun. Le Conseil Constitutionnel, d’ailleurs, s’est toujours montré très attentif au sort des syndicats dans la législation moderne. Dans sa décision du 6 novembre 1996, il a rappelé que les syndicats avaient
« une vocation naturelle à assurer la défense des droits et intérêts des travailleurs » (CC 96-383 DC, 6 novembre 1996, R. p. 128). Cette formulation lui permet de juger, en l’espèce, que des salariés désignés par la voie de l’élection ou titulaires d’un mandat assurant leur représentativité peuvent participer à la détermination collective des conditions du travail sous réserve cependant que « leur intervention n’ait pas eu pour objet ni pour effet de faire obstacle à celle des organisations syndicales représentatives ».
Or, en imposant aux infirmiers non libéraux d’adhérer à un Ordre – qui est un organe de représentation de la profession – le législateur leur impose une structure de représentation et limite nécessairement la liberté syndicale. Limitation d’autant plus forte qu’elle s’accompagne d’une obligation de verser à la structure ordinale une cotisation.
Compte tenu de ces vices, notre organisation vous demande d’annuler cette note qui ne respecte pas des normes éminemment supérieures.
Dans cette attente,
Veuillez recevoir, Madame la Ministre, nos sincères salutations.
Mireille STIVALA
Secrétaire Générale Fédération Santé CGT